de village à banlieue un bungalow c'est... médiagraphie contact

Le quartier ou vivait Arlette s'appelait
Beaurivage Gardens

[...] et faisait partie de ces développements qui ont métamorphosé Boucherville au tout début des années soixante. Avant ces années-là, il n'y avait que très peu de maisons indíviduelles à proximité des villes. Soit on bâtissait de vastes demeures pour les riches, soit on construisait à la chaine ces minuscules bungalows sans fondations, destinés aux soldats rentrés du front, qu'on appelait les maisons de l'armée. Entre les deux, rien. Dans les années soixante, ce fut l'explosion, le raz- de-marée, le délire. À la manière des Chevrolet et des Cadillac qui étaient chaque année plus longues, plus larges et plus chromées, on inventait des bungalows toujours plus grands, plus spacieux, plus confortables. Le nec plus ultra de la maison de banlieue, la Cadillac Eldorado de l'habitation individuelle, c'était le split-level, et particulièrement celui de tante Arlette.

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Gravel, François, Adieu Betty Crocker, éd. Québec Amérique, 2003


À l’est du village et du premier secteur de bungalows mis en place par Monsieur Aimé Racicot dès le début des années 1950, se trouve un ensemble appelé autrefois Beaurivage Gardens.
Il est situé dans le quadrilatère des rues De Montmagny, De Monts, le boulevard Marie-Victorin et la rue des Abbés-Primeau,
Petites mais hospitalières, ces maisons ont été construites entre les années 1955 et 1960 à faible coût et étaient très abordables pour l’acheteur moyen grâce aux nombreux programmes de financement de la Société centrale d’hypothèque et de logement (SCHL). Ainsi chacun avait la possibilité d’être propriétaire et non plus locataire, d’où le slogan de l’époque d’une coopérative d’habitation de Montréal, « À CHAQUE FAMILLE SA MAISON ».
C'est dans ce secteur où sont venus s'établir de nombreuses familles anglophones. Pour plusieurs d'entre elles, la raison de leur venue à Boucherville était liée à un emploi à la compagnie Pratt and Whitney de Longueuil.

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Le projet Beaurivage Gardens

En 1954, la toute nouvelle compagnie montréalaise Beaurivage Gardens Ltd. acquiert les lots 20 et 21 propriété du cultivateur Joseph Aimé Aubertin dans l'est de la ville.

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Dès 1955 la compagnie lance son projet et construit des dizaines de maisons.
Un article du journal Le Courier du Sud illustré à droite montre que le promoteur ambitionnait de développer, à termes, un total de 4000 lots et qu'il prévoyait «la construction d'écoles catholiques et protestantes et l'aménagement d'un centre d'achats.» On verra que le projet de la compagnie aura été plus modeste.
Beaurivage Gardens Ltd. fait paraître des annonces dans différens journaux comme La Presse où elle offre des maisons déjà construites et aussi des terrains disponibles à des constructeurs indépendants.
Selon les publicités, différents modèles sont proposés à des prix de 9950$ avec paiement initial de 750$ ou bien 8975$ avec un paiement initial de 500$.
La construction des maisons est exécutée par la compagnie Smith Building Services Ltd.

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Lotissement et aménagement urbain

À l'époque, la Ville n'a pas encore de plan d'aménagement et c'est donc le promoteur qui soumet son propre plan de lotissement. Ce n'est qu'en 1967 que Boucherville adoptera son premier plan d'urbanisme.

Entre les deux rues parallèles De Montmagny et De Monts, le territoire est subdivisé en quelque 230 lots de 60 pieds sur 100. Une trame orthogonale classique constitue des îlots rectangulaires délimités par les rues transversales.
Parce que son implantation a été réalisée à partir d'une terre agricole vierge, la végétation actuelle est le fruit de l'aménagement que chacun des propriétaires successifs a fait de son terrain privé.

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Architecture

Des 231 lots que Beaurivage Gardens Ltd. détenait, elle en a vendu une trentaine à des constructeurs indépendants comme les compagnies Latraverse et Frères de Sorel et Smith Building Services Ltd de Montréal.

La compagnie proposait cinq modèles de maison: un bungalow n'occupant qu'un seul niveau et quatre autres construits sur un niveau et demie qu'elle appelait des split-levels.

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Un modèle mérite une attention particulière puisque quatre-vingt-quatre (84) maisons du développement correspondent à ce modèle soit 40% de l'ensemble .
Ces maisons correspondent en fait au modèle 753 du catalogue de plans de petites maisons que la Société d'hypothèques et de logements (SCHL) avait mis à la disposition des constructeurs et futurs propriétaires de maison à partir de 1946. On pouvait se procurer un jeu de plans complet pour la somme de 10$.
Elles étaient souvent qualifiées de back-splits. en raison de leur configuration,

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Il s'agit d'un plan sur un niveau et demie. Le séjour et la cuisine sont au rez-de-chaussée dans la moitié avant de la maison alors que les 3 chambres et la salle de bain sont sur un niveau plus élevé dans la partie arrière de la maison. Au sous-sol, la partie avant n'a que quatre pieds de hauteur alors que dans la partie arrière le plafond est à 8 ou 9 pieds.

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Des constructeurs indépendants.

Comme il l'avait annoncé, le promoteur Beaurivage Gardens Ltd. vendait aussi des terrains à des constructeurs indépendants. Une trentaine de maisons de l'ensemble ont donc été construites par les firmes Latraverse et frères de Sorel, Winrite Home Redg. et Smith Building Services Ltd.
Ces compagnies ont utilisé les modèles proposés par le promoteur que nous avons décrits plus haut notamment le populaire et très abordable modèle 753. Ils ont aussi proposé un modèle très simple de bungalow assez semblable au modèle 231 de la SCHL dont on trouve quelques exemplaires sur les rues Louis Lacoste et de Monts.

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Début 1960, tous les lots propriété de Beaurivage Gardens avaient été vendus et construits. Cependant, contraitrement aux annonces que la compagnie avait faites au début du projet, le nouveau quartier n'était équipé d'aucun des services collectifs. Il n'y avait toujours ni écoles ni centre d'achats dans le quartier. Ceux-ci deviendront disponibles lorsque sera développé l'ensemble à l'ouest de Beaurivage, soit entre les rues de Monts et de Varennes.


Le quartier s'agrandit

de De Léry à De Varennes

Le premier ensemble développé à l'ouest de la rue de Monts entre 1959 et 1962 est constitué d'une bande correspondant essentiellement à la rue de Léry. C'est la partie en vert dans l'image suivante.

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Les principaux constructeurs de cet ensemble sont les compagnies montréalaises Monarch Enterprise Ltd. et Two Sixty Corporation. Quelques maisons ont été bâties par Caramil Construction.
C'est Morarch Enterprise Ltd. qui a entre autres construit quelques cottages attachés de la rue de Léry.
Fait à noter, Two Sixty Corporation vendait ses maisons en faisant la promotion d'un ensemble qu'elle désignait comme Les Jardins Montcalm.

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En 1958, la firme Les Immeubles Boucherville Inc. acquiert les lots 22 et 23. L'image qui suit montre en rouge où sont situés ces lots. L'ensemble s'étend de la rue de Léry jusqu'aux rues Antoine-Favreau et François Gauthier entre le boulevard Marie-Victorin et la voie ferrée. Il s'agit d'une très grande surface contenant des centaines de terrains.

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Il faut souligner deux caractéristiques importantes de cet ensemble.

La première concerne la compagnie Les Immeubles Boucherville Inc.
Contrairement aux deux premiers développements déja vus qui étaient le fait de promoteurs montréalais, il s'agit ici d'une firme locale dont les actionnaires étaients bouchervillois. Son président Clovis Langlois deviendra quelques années plus tard maire de la ville et Aimé Racicot, vice-président, sera échevin et développera de nombreux autres secteurs de Boucherville.

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La deuxième caractéristique concerne les constructeurs des maisons de cet ensemble.
La compagnie Les Immeubles Boucherville Inc. agira surtout en tant que promoteur propriétaire des terrains et vendra ceux-çi à de nombreux constructeurs indépendants.

En général, ces contracteurs achetaient un ou plusieurs terrains pour y construire sur commande ou non une maison qu'ils vendaient à un client.
Certains de ces contracteurs étaient bouchervillois et d'autres sont venus faire affaire et s'installer à Boucherville. On retiendra, entre autres, les noms de Roméo Cadieux, Downey et Dessurault, N. Deshaies et Fils Inc, Jérôme Comeau, Bruno Deshaies Enrg. et Gaston Touchette.
Plusieurs d'entre eux construiront des centaines de maisons dans d'autres quartiers de Boucherville.
Puisque chaque contracteur proposait ses propres modèles de maison, l'ensemble n'a pas la même homogénéité architecturale que celui de Beaurivage Gardens où on a vu précédemment qu'un grand nombre d'habitations étaient du modèle 753 de la SCHL.

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C'est dans ce secteur, entre les rues de Léry et de Varennes qu'on verra apparaître les installations destinées à la vie scolaire, commerciale et religieuse.

Écoles

Avec l’augmentation rapide de la population du quartier, le nombre d’écoliers s’était évidemment accru et en 1959 débutent la construction de non pas une, mais deux écoles. Rappelons aussi que les commissions scolaires de l'époque étaient linguistiques et confessionnelles.
L’école Louis-Hyppolite-Lafontaine pour les francophones et la Boucherville Protestant School pour la communauté anglophone protestante furent ouvertes en 1960.
Avant leur ouverture, comme dans le plupart des nouveaux quartiers en développement, on aménage les classes des plus jeunes dans des maisons ou autres édifices disponibles.
Les plus âgés féquentaient les écoles Sacré-Coeur et Marguerite-Bourgeoys. Dans cette dernière, quelques classes étaient occupées par des élèves anglophones catholiques. En 1963, elle leur est exclusivement réservée.
Plus tard la Boucherville Protestant School est devenue la Boucherville Elementary School et desservait la population anglophone tant protestante que catholique.

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Églises

Dès 1961 , la paroisse Saint-Sébastien est créée. Le nombre de paroissiens s'accroit très rapidement et en 1965, l'église Saint-Sébastien est construite sur un terrain cédé par la firme Les Immeubles Boucherville Inc. C'est l'architecte bouchervillois Léopold Langevin qui en a conçu les plans. Pendant les travaux, des messes et des baptêmes sont célébrés à l'école Louis-Hyppolite-Lafontaine.

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La communauté anglophone se dote elle aussi d'institutions religieuses.
Le 11 juin 1961 la Boucherville United Church est créée afin de desservir les fidèles protestants. Les premières activités de la communauté ont lieu dans l'école Boucherville Elementary School. En 1962, un temple est construit, au 765, rue Pierre Piché à Boucherville. Neuf ans plus tard, en septembre 1971, la Boucherville United Church cesse ses activités pour cause de manque de membres actifs. L'église ferme officiellement en mai 1975.
De son côté, depuis 1965, la communauté catholique anglophone était regroupée au sein de la paroisse Holy Cross Parish et la plupart de ses offices religieux avaient lieu à l'école Marguerite-Bourgeoys et la chapelle de l'école Sacré-Coeur du village. En 1976, la fabrique acquiert le bâtiment qui servait de temple à la communauté protestante et en fait sa chapelle.

Commerce

Comme dans toutes les nouvelles banlieues d'Amérique du Nord, les zones commerciales étaient détachées des zones résidentielles. La traditionnelle rue commerciale des villes et villages d'auparavant est remplacée par le centre d'achats.

En 1960, est inauguré le Centre d'Achats Boucherville, le premier de la ville. Il était itué rue de Varennes, entre les rues Pierre-Viger et Benjamin-Loiseau.
On y allait pour faire les courses au IGA, choisir son collier à la bijouterie LEBEL, un gâteau à la patisserie MONACO, faire ses transactions à la SCOTIA BANK, habiller les enfants AUX GAMINS, acheter tissus et patrons chez FRANCE ET HÉLÈNE, être coiffé au SALON YVETTE ou chez les barbiers PIERRE et ANTOINE, se chausser à la cordonnerie FRANK, passer chez le nettoyeur ARISTO et trouver de tout chez JAZZAR'S.
Et aussi, jouer 3 parties de quilles pour 0.75$ au BOWLING BOUCHERVILLE ou se rendre au casse-croûte LA PARMENTIÈRE.
À la fin des années 1960, le centre d'achats prend le nom de Place Boucherville.

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...et aujourd'hui

On entrait toujours dans cette maison par le côté, à l'abri du carport. Personne n'empruntait jamais la porte principale, purement décorative. Personne ne marchait non plus sur le trottoir qui y menait, pas même le facteur, qui ne laissait d'ailleurs jamais le courrier dans la boîte aux lettres, purement décorative elle aussi : il passait par la porte de côté, comme tout le monde, et donnait directement les lettres à ma tante, qui l'attendait en haut de l'escalier. Quand il n'avait rien à lui livrer, le facteur se contentait de saluer ma tante à sa fenêtre, d'où elle surveillait son coin de rue.[...]
les rues étaient toujours animées : il y avait des enfants partout, et des laitiers, des boulangers, des livreurs qui portaient fièrement leur uniforme et qu'Arlette saluait au passage.

Gravel, François, Adieu Betty Crocker, Québec Amérique, 2003, p.20.

Presque soixante-cinq ans plus tard, ces lieux ont une histoire à raconter. Les maisons sont devenues celles des grands-parents. Elles ont en général été entretenues et rénovées de façon à garder une certaine authenticité au quartier.
Elles sont maintenant convoitées pour leur valeur marchande. Elles risquent des transformations radicales sinon des démolitions pour être remplacées par des bâtiments au goût du jour qui pourraient jurer dans le secteur.
L'école Louis-Hyppolite-Lafontaine sera démolie à cause de sa vétusté mais, selon le projet annoncé par le centre de service scolaire, une nouvelle école sera construite à proximité du lieu actuel
Le centre commercial est disparu depuis une vingtaine d'années et remplacé par un ensemble de condominiums. Il n'y a donc plus de commerces de proximité dans le quartier.

Beaurivage est-il condamné à l'oubli?