de village à banlieue un bungalow c'est... médiagraphie contact

les travaux d'Émilie

Malléable à souhait, le bungalow se prêtait à un éventail presque infini d’appropriations, néanmoins domestiquées par les usages sociaux au fil de son évolution.
Morisset, Lucie K. et Luc Noppen

En 2019, Émilie et Martin ont acheté une maison qu'ils ont tout de suite entrepris de rénover.
Après les travaux, la maison paraît maintenant très différente et surtout mieux intégrée à l’ensemble du quartier.

En décembre 2023, Émilie nous l'a fait visiter et nous a raconté comment se sont déroulé les travaux.

Nous allons ici tenter de rendre compte du projet, de son déroulement et des enjeux qu'il a impliqués.
Mais auparavant, commençons par faire la petite histoire de l'évolution de cette maison.

au commencement était ... la maison de Jean-Guy

En novembre 1959, Jean-Guy quitte Longueuil et devient propriétaire d'une maison toute neuve rue des Îles-Percées à Boucherville. Elle fait partie d'un tout nouveau quartier dont le développement a commencé l'année précédente en 1958 et que ses résidants nommaient Villeroi. Aujourd'hui cette appellation est disparue et le quartier est intégré au secteur dit La Seigneurie.

Le promoteur du projet prévoyait ériger 200 maisons entre les rues des Îles-Percées, Tailhandier, Louis-J.Lafortune et le boulevard Fort-Saint-Louis.
Les maisons étaient construites par le contracteur Willie Lamothe Construction et avaient été conçues par l'architecte Normand C. Gagnon.
Ce dernier avait d'ailleurs préparé le plan de lotissement et prévu le modèle de maison pour chaque lot parmi la quinzaine de plans qu'il avait aussi dessinés.
L'agence Metroland présentait des photos de quelques-uns des modèles dans un dépliant publicitaire et faisait paraître des annonces dans les journaux.

Pour en savoir davantage sur le développement de

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C'est le modèle B-5 que Jean-Guy a choisi.

Il s'agit d'un bungalow dont le plan est rectangulaire et fait 40 pieds sur 25 comme pour la plupart des autres modèles. Son pan le plus long est parallèle à la rue. Le toit a deux versants de pente très faible. L'extrémité des chevrons est apparente. Vu de la rue, l'abri d'auto longe le côté droit de la maison.
La porte principale est décalée sur la gauche du centre de la façade dont les deux tiers sont renfoncés d'environ trois pieds sous le toit protégeant ainsi l'entrée des intempéries.
En façade, une grande fenêtre rectangulaire procure beaucoup de lumière dans le séjour et à gauche, la fenêtre d'une chambre est de plus petite dimension.

Le revêtement principal de mur est en brique. Le haut et le bas des fenêtres sont parés de planches de panneaux de contreplaqué.
Bien que l'ensemble de la façade laisse une impression d'horizontalité, on remarque qu'elle est constituée d'une juxtaposition d'éléments verticaux entre le haut de la fondation et le toit. Se succèdent ainsi de gauche à droite, un pan de brique, une fenêtre entre deux panneaux de bois, la porte d'entrée, un pan de planches verticales en cèdre, la large fenêtre panoramique divisée en trois sections prolongées chacune vers le haut et le bas par des panneaux de contreplaqués et enfin les colonnes de soutien du toit de l'abri d'autos.

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la maison de Jean-Guy ... à Michel ... à Sonia ... à Axel ...

Les bungalows de la deuxième moitié du XXe siècle sont des témoins d'un profond changement dans le rapport des citoyens au domicile. En fait, avec l'automobile, c'est un nouveau mode de vie qui se développe. Quittant la ville, les familles s'installent dans les toutes nouvelles banlieues où elles trouvent des maisons au confort moderne et une certaine proximité avec la nature.
Au cours des décennies suivantes, l'aménagement paysager, la décoration, la rénovation deviennent objets d'un commerce extrèmement florissant. Incités par les publicités et de nombreux médias, les propriétaires transforment petit à petit leur maison.

En 1992, Jean-Guy vend la maison qu'il aura donc habité pendant trente-trois ans.

Par la suite, la propriété aura changé de main à quelques reprises.

Les photos qui suivent illustrent comment la maison s'est transformée jusqu'en 2019.

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1960

Le fils de Jean-Guy devant la maison familiale.
Le terrain est paysagé, la pelouse est en place et de petits arbres ont été plantés.

1995-2003

Dans les annèes 1970, le Québec redécouvre son patrimoine. On vide les granges des meubles et objets anciens, témoins d'une ruralité pas si lointaine.
Ici, clôture de perches et muret en pierres des champs ont été intégrés au paysagement.

2007-2019

Une pièce supplémentaire.
On a excavé puis installé les fondations et construit des murs sous la toiture de l'abri d'auto.

Les travaux de transformation et de rénovation que les propriétaires successifs ont réalisés ont permis à chacun de se l'approprier comme il le souhaitait et pouvoir déclarer « voici ma maison, elle est à mon goût

2024, la maison de Jean-Guy à ... Émilie

Émilie, Martin et leur fils Colin habitent maintenant la maison depuis trois ans.

Émilie

Nous lui avons d'abord demandé ce qui l'avait amenée à Boucherville et dans ce quartier en particulier.

C'est pour se rapprocher de l'emploi d'Émilie que la famille est venue s'établir sur la Rive-Sud. En visitant une maison à vendre sur la rue Jean-Baptiste Jobin, elle a découvert le quartier et la rue des Îles-Percées.

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Et la maison elle-même, qu'est-ce qui lui a plu quand elle l'a visitée?

« moi, j'ai vu tout ce que je voulais faire
...
j'ai adoré »

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Les travaux

Émilie s'intéresse depuis longtemps à l'architecture et au design.

Avant d'entreprendre les rénovations, elle a examiné les maisons du quartier semblables à la sienne et en a retenu quelques éléments caractéristiques pour son projet.
Un architecte a ensuite dessiné les plans selon ses indications.

Quelle était son intention en entreprenant les travaux, quelles idées ont guidé ses choix?

«... pauvre maison ...»

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Les travaux ont d'abord porté sur l'intérieur et ont duré environ deux mois. Le rez de chaussée a été en grande partie reconfiguré. La cuisine, le séjour et la salle à dîner ont été réunis dans un seul grand espace ouvert. Les chambres et la salle de bain ont aussi été revues.
Le style disons rustique du décor est disparu dans le démolition.

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Toute la fenestration a été modifiée.

Pour retrouver autant que possible l'essence de la construction originale, les oriels [bow-windows] de la chambre et du salon/séjour sont disparus de la façade avant.
À l'arrière, la petite fenêtre de la cuisine donnant sur la cour a été remplacée par deux larges portes-fenêtres. Avec la grande fenêtre panoramique du séjour qui leur fait face, on a l'impression que tout l'ensemble cuisine/séjour/salle à dîner forme un espace ouvert et lumineux entre l'avant et l'arrière de la maison.

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C'est un an plus tard, une fois la famille installée dans la maison que les travaux extérieurs ont commencé.

Émilie avait d'emblée décidé de conserver la brique d'origine. Ensuite, il fallait choisir le nouveau parement des autres parties recouvertes alors d'aluminium de couleur bourgogne.
Elle nous a confié avoir mis beaucoup de temps et effectué plusieurs recherches pour trouver le bon matériau.
Son choix s'est arrêté sur des panneaux de bois composite en lattes étroites posées à la verticale qui rappellent les planches de cèdre utilisées à l'origine de la maison.

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À l'arrière, une nouvelle terrasse avec pergola intégrée a été construite. La brique d'origine a été conservée là aussi . Le grand mur donnant sur la terrasse est paré de planches verticales noires.

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faire des choix

Nous avons demandé à Émilie si elle était satisfaite des transformations.

«ma maison, je l'aime»

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Par ailleurs, elle nous a mentionné qu'en rétrospective, elle aurait aimé bénéficier d'un certain accompagnement. Selon ce qu'elle nous a dit, son architecte n'a pas vraiment participé à la conception. Son rôle s'est résumé à produire les plans à partir des idées qu'elle lui soumettait et s'assurer que le projet respectait les normes et règlements.
Avoir accès à plus de documentation, lui aurait permis, dit-elle, de se rapprocher encore plus des caractéristiques d'origine de la maison.
Par exemple, ce n'est qu'une fois les travaux terminés qu'elle a pris connaissance des images de la maison de Jean-Guy publiées dans le groupe Facebook Le Boucherville des bungalows de 1950 à 1970.
Elle nous a dit que la grande fenêtre de la façade avant aurait peut-être été différente.

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laisser des traces

Jean-Guy visitait la maison accompagné par sa fille Martine. C’était en 2022, trente années avaient passé et elle avait bien changé depuis.

On peut imaginer qu’à mesure qu’il explorait les pièces, malgré les transformations, des pensées variées lui venaient. Des souvenirs devaient sans doute resurgir de moments passés dans cette maison dont il avait fait un foyer pour sa famille.
Ce retour lui permit peut-être de prendre conscience que, même si les murs avaient changé de propriétaire, les souvenirs et les émotions étaient à jamais ancrés dans ces lieux qui avaient été son chez-soi pendant trente-trois années.

Émilie nous a dit qu'un moment en particulier avait été très touchant.

Laissons la nous raconté la scène.

Image cachée

« ...pouvoir retourner dans ta maison... »

rénovation, nom féminin.
Action d’apporter des transformations à quelque chose pour l’améliorer. Usito. Le Dictionnaire

Oui mais, comment déterminer si la rénovation a amené une amélioration?
Rénover n'est peut-être pas qu'une affaire de goût. Le goût du jour est forcément éphémère.

Une maison, à moins d'être isolée sur une île par exemple, est un élément, une composante d'une rue, d'un secteur, d'un quartier, bref, d'un ensemble. Idéalement, on souhaiterait que l'ensemble soit harmonieux aux plans architectural, urbanistique et paysager.
Quels principes ou idées directrices devraient être appliqués lors de travaux sur une propriété afin que les résultats soient cohérents et bien intégrés au milieu où elle se trouve?

L'intention et le souci d'Émilie de retrouver autant que possible les qualités architecturales d'origine de sa maison et de son aménagement paysager cohérent avec celui du voisinage ont guidé ses décisions.

Elle a donc pris soin de conserver les volumes existants. Aucun ajout de niveaux ou d'étages supplémentaires.
Il y a eu aussi un travail de soustraction. Ont été enlevés et retirés des éléments étrangers au concept original et incohérents comme les oriels par exemple. Même chose pour les artifices anachroniques de l'aménagement paysager que constituaient les clotures de perches et roues de charette.

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Bien qu'elle se présente comme radicalement différente de ce qu'elle était en 2019, la maison d'Émilie est maintenant mieux intégrée qu'auparavant dans son ensemble et contribue ainsi à l'harmonie et aux qualités du secteur.
Ces qualités ont d'ailleurs été décrites dans une étude commandée par la Ville de Boucherville en 2017 intitulée Rapport de caractérisation Secteur de la rue des Îles-Percées qu'on peut lire ici.

De son côté, la Société du Patrimoine de Boucherville (SPB) a elle aussi reconnu ces qualités et a attribué au quartier son Mérite Patrimonial en 2022. La même SPB a aussi présenté en février 2023 une série de recommandations à la Ville visant à préserver les qualités architecturales et urbanistiques de l'ensemble Villeroi / des Îles-Percées.
La Ville n'a pas encore fait connaître son intention de donner suite ou non à ces recommandations.

2024. Jacques Rollin