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Soldat Dion construit sa maison

des vétérans

S’il est une rue de Boucherville qui porte bien son nom, c’est certainement la rue des Vétérans. Elle a été développée pour accueillir des maisons destinées par le gouvernement fédéral aux membres des forces armées ayant servi pendant la deuxième guerre mondiale.
Pourtant ce n’est pas dans cette rue que se trouve la maison du soldat Marcel Dion.

Sylvie, la fille de Monsieur Dion, a bien voulu nous raconter où, quand et comment sa famille s’est établie à Boucherville.

En 1959, Marcel Dion, son épouse Yollande Rousseau et leur toute jeune fille Sylvie âgée d’un an habitent rue Marquette à Montréal. Comme beaucoup de locataires montréalais de l’époque les parents souhaiteraient être propriétaires de leur propre maison en dehors de Montréal. Comme vétéran, M. Dion compte profiter d'une offre d’aide à l’accès à la propriété du Ministère des anciens combattants.


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Les terres destinées aux anciens combattants

Dès 1917, le Canada met en place de nombreux programmes d’aide à l’habitation dont ceux destinés aux anciens combattants au retour de la Première Guerre mondiale. Pendant la Deuxième Guerre mondiale La Société de la Couronne Wartime Housing Limited est instaurée pour loger les familles d’ouvriers affectés aux industries de guerre et les soldats revenant du front. Puis, en 1942, la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants permet au Département des anciens combattants d’acquérir des terres dans toutes les régions du Canada. C’est L’Office de l’établissement agricole des anciens combattants qui est chargée d’offrir aux soldats vétérans des lots pour s’établir en régions rurales et y vivre de l’agriculture ou des pêcheries.
En 1946, le gouvernement fédéral crée la Société Centrale d’Hypothèques et de logement (SCHL) et lui confie le mandat de coordonner et gérer tous les programmes d’aide à l’habitation y compris ceux destinés aux vétérans soldats.
À Boucherville, le Directeur de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants achète la terre désignée au cadastre comme le lot 43. Celui-çi est divisé en deux sections par la voie ferrée du Canadien National. Dès 1946, 17 maisons sont construites sur la nouvelle rue des Vétérans au nord du chemin de fer. Deux ans plus tard, les journaux rapportent de nombreux problèmes liés à la mauvaise qualité et au prix de ces maisons. Dans les années 1960 lors de la construction de l'actuelle route 132, plusieurs propriétaires seront expropriés et verront leur habitation détruite ou déménagée .

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À compter de 1950, l’exigence d’être agriculteur ou pêcheur est écartée et tous les anciens combattant qui désirent construire leur propre maison deviennent éligibles à l'aide du Ministère des anciens combattants. Plus de 140 000 ex-militaires auront profité d'une aide financière au moment de la cessation du programme de prêts en 1977.

C’est grâce à ce programme que Marcel Dion pourra devenir propriétaire.

Quitter Montréal pour aller où?

En 1959, L’Office de l’établissement agricole des anciens combattants offre des terrains dans différentes régions de la Montérégie comme le mentionne un article du journal Le Devoir.

Lieu de villégiature prisé par la bourgeoisie montréalaise de la fin XIXe siècle jusqu'au milieu du XXe, Boucherville jouissait depuis longtemps déjà d'une réputation plutôt prestigieuse.
Les journaux des années 1950 et 1960 décrivent la ville comme une banlieue en plein développement et pour laquelle les différents niveaux de gouvernement prévoient des voies d’accès rapides depuis la métropole. Elle sera bientôt au carrefour des routes transcanadienne et de la route 3 qui deviendra plus tard la 132. On pourra rejoindre Montréal grâce au pont-tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine.
Marcel Dion, 36 ans et soudeur de formation est instructeur à l’École des métiers de la construction à Montréal. Selon Sylvie, c'est à cause de la proximité de Boucherville que ses parents ont choisi de s’y établir.

Les terrains offerts dans la ville par le Département des anciens combattants sont situés au sud de la voie ferrée sur une bande qui longe la rue Tailhandier incluant la partie ouest de la rue Hugues-Pommier entre le boulevard Fort Saint-Louis et la rue Dupernay comme le montre la photo qui suit.

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M. Dion choisit le lot 43-131 sur la rue Tailhandier qu’il acquiert pour la somme d’un dollar du Directeur des terres destinées aux anciens combattants.
Un seul autre terrain est alors détenu sur la même rue un peu plus au sud par l'ancien combattant M. Collins. Nous verrons plus loin que plusieurs autres anciens combattants viendront s’installer dans ce secteur.

La maison

Une fois le terrain choisi, Marcel et Yollande doivent se faire une idée de la maison qu’ils souhaitent. Quelle forme aura-t-elle? Combien de chambres? Un ou plusieurs niveaux? Comment les pièces seront disposées? Comme tous prochains propriétaires, ils imaginent la demeure qui répondra à leurs goûts et à leurs besoins.

Depuis 1947, la SCHL organise dans tout le pays des concours d'architecture de petites maisons abordables et offre quelques centaines de dollars aux architectes gagnants qui cèdent leurs droits de conception. Les plans retenus sont publiés dans des catalogues où on choisit son modèle préféré. On peut alors obtenir un jeu de copies des plans pour la somme de dix dollars.

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C'est dans le catalogue de 1958 que Yolande et Marcel trouvent le modèle 259 dessiné par l’architecte M.G. Dixon.

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Sylvie Dion nous a raconté que ses parents se seraient rendus à Châteauguay pour visiter une maison déjà construite selon ce modèle et que cette visite aurait confirmé leur choix tout en projetant y faire quelques modifications pour l’aménager selon leurs désirs et leurs besoins.

M. Dion ne souhaite pas seulement être propriétaire de sa maison mais il veut aussi la construire lui-même. Le programme d’aide aux vétérans prévoit cette possibilité à la condition que l’auto-constructeur suive des «cours de construction et de procédure départementale.» Pendant quelques mois M. Dion partage son temps entre son travail, ces cours et sa famille.

Une fois les cours terminés, il entreprend la construction de sa maison et agit lui-même en tant que contracteur. Il verra donc à la gestion complète du chantier.

Il se se procure d’abord les plans du modèle 259 et y apporte plusieurs modifications comme le montrent les annotations sur les photos fournies par Sylvie. Il doit par contre soumettre ces modifications à l'approbation des autorités reponsables du programme d'aide.

Il accorde des contrats aux divers sous-contractants, gère le calendrier et les étapes de réalisation des travaux, surveille leur bonne exécution, assure l’approvisionnement des matériaux et se soumet aux inspections de la SCHL. Il exécute lui-même quantité de travaux . Il lui faut être présent sur le chantier le plus souvent possible tout en continuant de travailler à Montréal.
Pendant tout cette période, Madame Rousseau est très occupée à veiller sur sa petite fille d’à peine un an en plus de préparer le futur déménagement. Elles viendront souvent visiter le chantier et constater combien les travaux progressent.

Enfin au printemps 1961, la maison est prête et le 4 mai Marcel Dion prend officiellement possession de la nouvelle demeure comme indiqué au contrat de vente entre le Directeur des terres destinées aux anciens combattants et lui.

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Villeroi

Lorsqu'ils y déménagent, la maison des Dion, est entourée de terrains vacants. De leur côté de la rue Tailhandier, il n'y a qu'une seule autre maison un peu plus au sud qu'on aperçoit dans le coin supérieur droit de la photo de gauche. C’est celle du vétéran Collins.
Dans cet environnement un peu désert et adossé à des champs, Yollande Rousseau a trouvé difficile l'adaptation à la vie de banlieue naissante.
Écoutez ce que nous en a dit sa fille.

En 1962, trois maisons sont construites sur le boulevard du Fort Saint-Louis. Elles apparaissent en second plan sur la deuxième photo. La même année, le terrain voisin immédiat des Dion est acquis par un Monsieur Laramée, qui y fait construire lui aussi une maison du modèle 259 et dont la façade est sur la rue Hugues-Pommier.

Puis, très rapidement de nouveaux voisins viennent s’établir autour d’eux. Selon ses souvenirs, Sylvie Dion croit que seul son père a bâti lui-même sa demeure alors que les voisins ont plutôt fait affaire avec des contracteurs.

Du côté est de la rue Tailhandier, on compte déjà une quinzaine de maisons. Depuis 1955 quelques compagnies de construction développent le quadrilatère entre cette rue et celle des Îles-Percées. Longtemps, les résidants ont eu l’habitude de nommer le secteur Villeroi.

La plupart des maisons de cet îlot sont des variantes plus ou moins semblables de la maison des Dion c'est-à-dire qu'elles ont un long pan en façade donnant sur la rue et une toiture à pente très faible. Elles correspondent à des modèles trouvés eux-aussi dans les catalogues de la SCHL.

Trois cas particuliers à noter. Un cottage rue Hugues-Pommier dont on trouve le modèle K-54 dans le catalogue de 1954 de la SCHL. Une maison du modèle 753 dont on trouve des exemplaires dans plusieurs secteurs de la ville et enfin une maison de la rue Tailhandier construite en 1960 dont le toit à quatre pans est unique dans l'îlot.

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vie de quartier

Dès 1965, tous les terrains de l'îlot sont occupés et les Dion ont pour nouveaux voisins les Cornellier, Lemieux, Desmarais, Dansereau, Beaudry, Poirier, Baril, Rivard, Morin, Lafrance, Payette, Legrand, Morin et Scholey entre autres. Tous ont profité du même programme d'aide aux vétérans.

Comme c'est souvent le cas encore aujourd'hui, c'est par les amitiés entre les enfants que la vie de quartier a pris forme et s'est développée comme l'a mentionné Sylvie.


Elle se rappelle aussi qu’en raison de leur statut lié à leur passé de vétérans plusieurs voisins de l’îlot ont développé des liens solides et certains se sont même liés d’amitié.


Parmi eux, M. Laurent Rivard aura été très actif dans sa communauté en devenant conseiller municipal et aura contribué à créer la Filiale 266, Pierre-Boucher de la Légion royale canadienne.

Les enfants fréquentaient tout près l’école Pierre-Boucher ouverte en 1961. Celle-ci a d'ailleurs été construite sur une partie du lot 43 destinée aux anciens combattants et acquis par la Municipalité Scolaire de Boucherville. En 1964, elle en vendra une partie à la Fabrique de la paroisse Saint-Louis pour y construire le Centre communautaire inauguré en 1968. À partir de 1966, on pouvait aller faire les courses chez Dominion et le magasin La Salle du très moderne centre d’achats intérieur La Seigneurie.



C'est donc là et ainsi que s'est développé cet îlot d'une vingtaine de maisons construites par et pour des vétérans de la Seconde Guerre Mondiale comme Marcel Dion. On a peut-être oublié avec le temps son caractère particulier. Dans la mémoire des Bouchervillois, il s'est fondu petit à petit d'abord dans le secteur Villeroi lui-même absorbé plus tard dans la zone qu'on désigne aujourd'hui la Seigneurie.

On prend de plus en plus conscience aujourd'hui qu'une maison, qu'un ensemble de maisons comme celui qui a été décrit ici c'est un milieu de vie qui a son histoire particulière.

Un bungalow n'est peut-être pas qu'un bungalow.
À ce sujet, laissons le dernier mot à Sylvie Dion.